
En 2021, la loi climat et résilience a été adoptée par le gouvernement français. Cette loi récapitule les différents engagements de notre pays en faveur de la transition écologique et découle des débats de la convention citoyenne pour le climat.
Parmi les articles de cette loi, un en particulier a fortement fait débat.
Cet article autorise les allégations de neutralité carbone pour les communications d’entreprises, alors que l’ADEME et plusieurs ONG étaient totalement contre ce principe.
Définition de la neutralité carbone :
“La « neutralité carbone » vise à équilibrer toute émission de gaz à effet de serre issue de l’activité humaine par des séquestrations anthropiques de quantités équivalentes de CO2.” Source ADEME
Décret relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone du 13 avril 2022
Pour résumer, la loi autorise les allégations de neutralité carbone ou équivalent à condition qu’elles soient justifiées par un Bilan Carbone scope 1, 2 et 3, un plan d’action de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), ainsi que le détail de la stratégie choisie pour compenser les émissions résiduelles par l’achat de “crédits carbone” (plantation d’arbres, projets d’énergie renouvelable,…) .
Toutes ces informations doivent être publiques et facilement accessibles.
Détail du contenu :
Acteurs concernés :
- Tout annonceur qui communique sur de la neutralité carbone ou équivalent, et ce, quelque soit le canal de communication (publicité en ligne, emballage produit, …)
- Un Bilan Carbone doit être réalisé sur l’ensemble du cycle de vie (Scope 3) selon la norme ISO14067, et doit être mis à jour annuellement.
- L’annonceur rend public un rapport de synthèse décrivant l’empreinte carbone du produit ou service dont il fait la publicité, ainsi que la démarche grâce à laquelle ces émissions de gaz à effet de serre (GES) sont prioritairement évitées, puis réduites, et enfin compensées.
- L’annonceur rend publique la trajectoire de réduction des émissions qu’il a prévue sur les 10 ans suivant la publication du rapport. Cette trajectoire doit être actualisée tous les 5 ans.
- L’annonceur rend publics les projets de compensation utilisés et leurs coûts par tranche de prix (<10€, 10 à 40€, >40€). Il doit prouver qu’il n’y a pas de double compte et qu’il y a une cohérence entre le lieu où les émissions se font et le lieu où la compensation se fait. Cette partie doit être mise à jour annuellement.
- Si sur 2 années successives, les émissions du produit augmentent, il n’est plus autorisé de communiquer sur de la neutralité carbone ou équivalent.
- Il est nécessaire de communiquer le QR-code ou le lien où le consommateur peut retrouver ces informations dans toutes les communications.
Attention, le ministre chargé de l’environnement pourra décider d’imposer une méthodologie identique à celle de l’affichage environnemental, qui est en cours d’expérimentation en France. Cette réglementation devrait voir le jour dans les 4 à 5 ans à venir selon l’avancement de l’expérimentation de ce système d’affichage en France. Elle consiste à communiquer sur la performance environnementale globale des produits alimentaires sous la forme d’un score environnemental similaire au NutriScore.
L’avis de l’Agence pour la Transition Ecologique (ADEME)
En février 2022, l’agence pour la transition écologique (ADEME) a publié son avis sur les communications mettant en avant la neutralité carbone d’entreprises ou de produits.
Plusieurs reproches sont évoqués, en particulier que la notion de neutralité carbone n’a de sens scientifique qu’au niveau planétaire et non au niveau d’un territoire, d’une entreprise ou d’un produit. Cela s’explique en partie par le fait que les différents secteurs et territoires ont des potentiels différents de réduction et de stockage de carbone. Il faudra donc que certains soient plus ambitieux et visent un stockage de carbone supérieur à leurs émissions pour compenser d’autres secteurs et territoires et atteindre une neutralité carbone “monde”.
La seconde critique avance que le consommateur peut être induit en erreur avec de telles allégations. En effet, deux entreprises ou organisations peuvent toutes deux communiquer sur de la neutralité carbone et avoir des stratégies pour l’atteindre complètement différentes. Cela invisibilise les “bons élèves” qui respectent une démarche de réduction de GES ambitieuse avant de compenser leurs émissions incompressibles et met au même niveau des acteurs ayant simplement pour volonté de verdir leur image.
Un troisième point est soulevé sur la compensation carbone. Là encore, elle peut induire en erreur le public, en faisant penser que le produit est “compensé carbone” et donc que l’on peut l’utiliser ou le consommer sans retenue, le problème étant “réglé”.
À titre d’exemple, lorsqu’une station‐service propose à ses clients de faire le plein avec un « carburant carbone compensé », elle laisse entendre que les émissions associées à l’utilisation du véhicule seront entièrement contrebalancées par des projets de compensation, et donc que l’on peut rouler sans aucune retenue, sans impact sur le climat. Source : avis d’expert ADEME 2022 “Utilisation de l’argument de « neutralité carbone » dans les communications”
De plus, toutes les compensations carbone ne se valent pas (coût, traçabilité, co-bénéfices, …). Face à tous ces risques, l’ADEME préconise quelques règles de bonnes pratiques :
1. faire et rendre public un bilan des émissions GES, réductions et compensations ;
2. choisir des projets de compensation labellisés ;
3. privilégier des projets présentant des approches « développement durable » ;
4. définir une juste combinaison de projets soutenus sur le sol national et à l’international ;
5. communiquer de manière responsable.
Compte tenu de tous ces points d’attention, L’ADEME conseille aux secteurs publics et privés de ne pas communiquer sur de la neutralité carbone, mais de plutôt communiquer sur une amélioration par rapport à une situation de référence (ex : -30% de GES entre 2014 et 2015) d’une façon totalement transparente pour ne pas tromper le consommateur.

Cependant, elle préconise d’inclure de la contribution carbone par le financement de projets permettant de tendre vers la neutralité carbone planétaire (crédits carbone). Selon elle, pour agir, les territoires, entreprises ou autres organisations doivent s’engager sur :
- une stratégie de réduction des GES
- une contribution au financement de projet de réduction et de stockage chez des tiers
- le développement de projets réduisant l’impact climatique des fournisseurs et clients
Conclusion : que faire ?
La question est complexe, car la réglementation est jeune, et malgré la médiatisation des problématiques climat, le public maîtrise mal ces concepts. Il est clair que pour les entreprises, il est beaucoup plus simple de communiquer sur une simple allégation de neutralité carbone qui va tout de suite parler au consommateur.
Cependant, ce type de communication n’illustre pas la performance réelle d’une entreprise ou d’un produit sur le climat. Il est trop généraliste et cache une variété de performance, de stratégie de réduction ainsi que de qualité de compensation. Il avantage donc les entreprises faisant du greenwashing et désavantage les autres qui auraient pu se différencier en communiquant sur une stratégie sincère de contribution aux accords de Paris.
Enfin, si une organisation souhaite communiquer sur sa neutralité carbone, c’est souvent pour améliorer son image. Il est donc important qu’elle porte une attention particulière aux avis des différents organismes qui pourraient porter une critique sur sa façon de communiquer, et annuler l’effet recherché…

Lecture intéressante et d’actualité, merci
Merci Stéphane 😁